10

 

Il était dix heures quand Camille et Salim pénétrèrent dans la cour d’honneur de l’École des beaux-arts. L’état de leurs finances ne leur avait pas permis de prendre un petit déjeuner et leurs ventres grognaient, sans qu’ils y prêtent attention. Ils s’attendaient à être interpellés par un surveillant ou un professeur, mais ils parvinrent sans encombre à la salle Stratis Andreadis.

Une douzaine d’étudiants étaient plongés dans des encyclopédies d’art, des catalogues illustrés ou utilisaient des ordinateurs dernier cri. Impressionnés par la magnificence de la pièce, ils restèrent un instant sur le seuil, n’osant pas s’avancer.

Une étudiante blonde qui arrivait derrière eux leur demanda :

— Je peux vous aider ?

— Je crois que oui, admit Camille. Nous cherchons quelqu’un, un étudiant, certainement en deuxième année. Il s’appelle Mathieu Boulanger.

— Mathieu ? Je le connais bien. Nous travaillons souvent ensemble. Il est inscrit à l’atelier multimédia. Il doit réviser ses examens dans une des salles informatiques.

— Le problème, expliqua Camille, c’est que nous ne l’avons jamais vu et j’ai peur de passer à côté de lui sans le reconnaître.

La jeune fille eut l’air surprise, pourtant elle s’abstint de tout commentaire.

— Tu ne peux pas le rater, la rassura-t-elle. C’est certainement le plus beau garçon de l’école. Grand, bien bâti, des cheveux châtain clair et des yeux d’une couleur incroyable.

Elle regarda Camille avec attention et ajouta :

— Du même violet que les tiens, en fait. Vous êtes parents ?

— C’est un cousin éloigné, mentit Camille, et je profite d’un voyage à Paris pour faire sa connaissance.

— Dans ce cas, bonne chance. Les salles informatiques sont à l’étage au-dessus. Mathieu doit se trouver dans la première à gauche.

Camille remercia l’étudiante et, en trépignant d’impatience, s’engagea dans les escaliers.

— Calme-toi, lui conseilla Salim. Ça m’étonnerait que ce Mathieu ait envie d’être le frère d’un ressort.

— Il ne s’appelle pas Mathieu, mais Akiro.

— C’est ça ! commenta le garçon. Et la dernière fois que je t’ai appelée Ewilan, tu as failli m’étrangler.

— Ce n’est pas pareil.

Salim ne répondit pas, mais sa grimace en disait long sur le fond de sa pensée.

La salle informatique était une immense pièce blanche où trônaient de nombreux ordinateurs. Plusieurs blocs de climatisation rafraîchissaient l’air et les étudiants qui travaillaient là étaient davantage couverts que les autres. Camille se posta à l’entrée de la salle et les observa les uns après les autres. Aucun ne correspondait à la description faite par l’étudiante.

Elle s’avança de quelques pas et son cœur bondit dans sa poitrine.

Son frère était là, penché sur un clavier d’ordinateur, levant parfois les yeux sur l’écran, intensément concentré. C’était en effet un garçon séduisant.

Comme dans un rêve, Camille se dirigea vers lui.

Elle s’arrêta à ses côtés sans qu’il ait paru remarquer sa présence. Toute son attention allait aux courbes colorées qu’il générait sur son écran.

— Mathieu, souffla-t-elle.

Il ne bougea pas.

— Mathieu ! insista-t-elle.

Il tourna la tête, visiblement contrarié d’être dérangé.

— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Sa voix était sèche, désagréable et Camille sentit un frisson lui parcourir le dos. Elle s’obligea à rester impassible.

— Il faut absolument que je te parle.

— Et moi, il faut absolument que je finisse ce travail. Je ne pourrai jamais le boucler si je suis dérangé toutes les cinq minutes.

À peine eut-il craché ces mots qu’il se replongea dans sa tâche.

La phrase avait agi comme une gifle. Camille recula, pâlit. Elle jeta un regard catastrophé à Salim qui se tenait en retrait, feignant de s’intéresser à une grosse imprimante laser, puis se retourna vers son frère.

— Mathieu, c’est important, très important.

En poussant un soupir excédé, Mathieu leva les yeux vers elle.

— Qui es-tu d’abord et qu’est-ce que tu me veux ?

— Je m’appelle Camille Duciel. Je suis là pour te parler de tes parents, tes vrais parents.

Il la dévisagea un long moment sans rien dire.

— C’est quoi encore ces histoires ? lança-t-il finalement.

— Ce ne sont pas des histoires, c’est la vérité, insista Camille. Est-ce que tu peux te libérer dix minutes pour que nous en discutions ?

Elle avait parlé calmement, pourtant son cœur battait la chamade.

— C’est bon, acquiesça Mathieu, mais pas maintenant. Je dois prendre des photos d’un vieil immeuble en cours de rénovation juste derrière le quai Malaquais et j’ai l’autorisation d’y entrer pendant la pause des ouvriers. Rejoins-moi là-bas vers midi et demi. Tu ne peux pas le rater, sa façade est couverte d’échafaudages. Je serai à l’intérieur.

— D’accord, murmura Camille, mais Mathieu ne la regardait déjà plus.

Elle se détourna et rejoignit Salim.

— Alors ? s’enquit le garçon.

Elle fit la moue, puis répondit :

— Alors j’ai peur d’avoir tiré au sort l’imbécile le plus prétentieux de l’École des beaux-arts. On s’en va !

En passant devant la salle Andreadis, ils tombèrent nez à nez avec la jeune étudiante qui les avait renseignés.

— Vous avez trouvé Mathieu ? demanda-t-elle.

— Oui, répliqua Camille sans essayer de masquer sa déception, et je crains d’avoir perdu mon temps.

— Il t’a envoyée promener ? traduisit la jeune fille. Ce n’est pas étonnant. Les examens commencent la semaine prochaine et nous sommes tous sur les nerfs. En plus, Mathieu et moi devons rendre un dossier sur un sujet barbare qui traite de l’impact du changement de matière sur la perception que l’homme a de son milieu. Mathieu est tellement tendu que je redoute parfois qu’on ne réussisse pas à boucler le boulot à temps. Ce n’était pas le bon moment pour faire connaissance avec lui.

Camille eut un sourire amer.

— Ça n’excuse pas tout… marmonna-t-elle avec un sourire amer.

— Pas tout, mais beaucoup. Ne lui en veux pas trop.

Un peu plus tard, Camille et Salim partaient en reconnaissance du côté du quai Malaquais.

Ils n’eurent aucune difficulté à trouver l’immeuble dont avait parlé Mathieu. C’était un beau bâtiment, comportant une cour intérieure et s’élevant sur quatre étages. Des ouvriers protégés par des filets travaillaient sur sa façade, tandis que d’autres œuvraient à l’intérieur.

Ils marchèrent un peu pour oublier qu’ils mouraient de faim. Ils passèrent un moment à regarder les vieux livres proposés par les bouquinistes, mais Camille ne se détendit pas. La rencontre avec son frère l’avait perturbée et elle la raconta, pour la dixième fois, à Salim.

— Peut-être est-il vraiment stressé par ses examens, suggéra son ami.

Camille se contenta de sourire tristement.

— Et puis en fait, continua Salim, on s’en fiche. Tout à l’heure, tu l’expédieras en Gwendalavir. Une fois là-bas, il n’aura qu’à faire son cinéma à Edwin ou à Bjorn. Je suis sûr qu’ils sauront lui expliquer la vie.

— Salim, tu dis n’importe quoi.

— Encore ? J’avais pourtant l’impression d’être plutôt malin sur ce coup-là.

— Tu ne crois tout de même pas que je vais envoyer Mathieu en Gwendalavir sans son accord ?

— Pourquoi pas ?

— Parce qu’il est hors de question que je fasse une chose pareille. Je dois le convaincre de s’y rendre volontairement.

— Mais tu pourrais le faire ?

— Oui.

— Alors, n’hésite pas, il te…

— Non Salim ! Je ne le ferai pas ! Inutile d’insister !

Le garçon leva les bras au ciel en soupirant.

— Pas de problème. Tu fais comme tu veux, comme d’habitude depuis des années et certainement pour les siècles à venir.

— Salim, le menaça Camille, si tu fais ta mauvaise tête… Ça alors, regarde !

Elle désignait l’étalage d’un marchand de journaux. À la une d’un quotidien, leurs noms apparaissaient en grosses lettres, suivis d’un titre évocateur : « Deuxième kidnapping ! »

D’un commun accord, ils se dirigèrent vers le kiosque et Salim saisit un journal, malgré les regards courroucés du vendeur.

Le journaliste évoquait le mystère qui entourait leur disparition et signalait la blessure, heureusement sans gravité, de M. Duciel. Il expliquait que de très importants moyens policiers avaient été mis en œuvre et que les responsables de cet enlèvement, bien qu’encore inconnus, ne tarderaient pas à être capturés.

Salim poussa un juron.

— Le retour promet d’être folklorique, commenta-t-il.

Camille se contenta de soupirer. La vie avec ses parents adoptifs allait devenir insupportable.

Elle regarda sa montre.

— En route. Il est midi, et je ne voudrais pas faire attendre monsieur Bonnes Manières.

D'un monde à l'autre
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